Cimetière de Cusco
Comme nous sommes nés pour mourir, la mort dure beaucoup plus longtemps que la vie, et le cimetière, où nous reposerons pour l’éternité, est notre véritable maison. Notre maison, notre quartier, notre village ne sont que des lieux de passage, des gîtes ou des auberges de voyageurs. Le cimetière, en revanche, est une résidence permanente, dont le chrétien ne s’éloigne jamais.
Nous n’avons pas peur de la mort, pourquoi le devrions-nous ? Qu’il en soit ainsi pour ceux qui vivent ici, dans ce monde qui passe, sans soucis ni malheurs. Pour ceux qui ont tout, santé, travail, richesse, divertissement, sécurité, il est compréhensible que la mort, avec ses incertitudes et ses mystères, apparaisse comme une menace. Mais pour ceux pour qui la vie est un véritable calvaire depuis la sortie du ventre de leur mère jusqu’à l’enterrement, la mort apparaît plutôt comme une solution, un repos. Ce ne peut être pire que cela, donc ce sera certainement mieux. C’est pourquoi nous n’avons pas peur de la mort ; au contraire, nous la côtoyons tout le temps et la regardons même avec beaucoup de sympathie. C’est peut-être pour cela que nous sommes si religieux : parce que la religion nous enseigne que ce qui est vraiment important, ce n’est pas cette chair éphémère que nous portons et qui recouvre notre âme, mais ce qu’il y a d’immortel en nous, ce qui restera à jamais lorsque notre misérable corps sera mangé par les vers.
Et c’est aussi pour cela que nous prenons tant soin des cimetières. Avoir un bon enterrement, si possible avec une veillée complète, un cercueil solide et bien peint, une vraie niche où l’on peut allumer une bougie, accrocher une croix, une photo en couleur, un enfant Jésus ou une Vierge et un Saint, et où les visiteurs peuvent déposer de petits bouquets de fleurs, c’est la plus haute aspiration de quiconque n’a pas perdu sa dignité.
Dans ma famille, nous ne l’avons pas perdue. La preuve en est cet autel que nous avons érigé sur la tombe de mon grand-père. Il y a là, dans un petit espace, tout ce qu’il aimait : les saints de sa dévotion, son scapulaire, son missel, les diplômes qu’il a reçus, ses médailles, les fleurs de cire qu’il avait sur sa table de chevet. Et même le petit miroir cassé devant lequel il se rasait, le dimanche, pour aller à la messe. Je n’ai pas de souvenirs directs de mon grand-père, car je suis née après sa mort. Mais j’ai tellement entendu parler de lui par ma mère et mes proches que c’est comme si je l’avais connu. C’est pourquoi, lorsque je viens au cimetière pour prier pour lui, je suis émue et j’ai les larmes aux yeux. De plus, comme je vais mourir d’un moment à l’autre, je sais que je le rencontrerai bientôt : « Bonjour, grand-père », lui dirai-je. Et lui : « Bonjour petite-fille. Je t’attendais.