Je suis un soldat

Je suis soldat et je suis fier de l’être. Si, il y a dix ans, on m’avait dit que je marcherais un jour rasé de près et en uniforme, j’aurais éclaté de rire. Moi, soldat ! Ce que j’aimais, c’était la fête, l’alcool, la danse et surtout les filles. Mon rêve était de passer du bon temps, sans avoir à beaucoup travailler, et de trouver un jour une femme qui me prendrait en charge.

Mais un après-midi, une patrouille est entrée dans un petit bar du quartier à la recherche de recrues, ils m’ont attrapé profitant que j’étais à moitié ivre et sans réflexes. Ils m’ont emmené au camp d’entraînement, ont demandé mes papiers et ont décidé que j’allais devoir faire mon service militaire. Ils m’ont rasé la tête, m’ont enlevé mes vêtements civils et m’ont mis l’uniforme kaki. Les instructeurs m’ont donné tellement de coups de pied au cul pendant l’entraînement que depuis lors, j’ai les fesses brûlées. Mais j’ai bien fait mon travail et, peu de temps après, j’ai commencé à apprécier l’armée. La discipline, l’organisation, la sécurité, tout cela. L’officier en chef de ma section me disait : « Tu as l’étoffe d’un soldat ». Je l’ai, parce qu’en plus de savoir obéir, je sais aussi commander et je me distingue par ma bonne précision de tir. C’est pourquoi on m’a nommé caporal et, avec la manière dont les choses évoluent, je serai bientôt sergent, et je ne m’arrêterai pas tant que je ne serai pas sous-officier.

Pour le peu de temps que j’ai passé dans l’armée, j’ai déjà participé à trois révolutions, c’est vraiment amusant. Pendant une révolution, la nourriture s’améliore et nous recevons un double pourboire. Il y a beaucoup d’excitation et de commérages dans le quartier, essayant de deviner qui deviendra le Président. Parce que si c’est le général, le chef de notre régiment, nous, je veux dire mon bataillon, ma compagnie, nous monterions en grade. Peut-être que je serais affecté à la garde présidentielle, celle qui protège le palais gouvernemental. Là-bas, on vit comme des rois et aucune fille ne peut résister.

Venir escorter le Christ lors de la procession du Vendredi saint a ses inconvénients. Pour moi, par exemple, l’odeur de l’encens me fait éternuer, et tout au long du parcours, il y a des prêtres et des religieuses qui brûlent de l’encens. Je dois me retenir d’éternuer – un soldat qui éternue pendant son tour de garde fait mauvaise impression – et parfois je n’y arrive pas et j’éclate. En revanche, lorsque la nuit tombe et que la foule s’anime, il n’est plus aussi facile de contenir les dévots qui veulent franchir les barrières et toucher la plate-forme du Christ, jeter des fleurs et demander des cadeaux. Les pires d’entre eux sont les beatas, qui poussent et crient comme des hystériques. Et ils doivent être bien traités, parce que nous sommes dans une procession, pas dans un rassemblement ou une grève, où il est permis de lancer des bâtons et, dans des cas extrêmes, de tirer. J’ai moi-même été pincé et griffé par ces sorcières dans certains cortèges.