La ville et les condors

Dans les Andes, l’être humain a une vocation de condor : grimper, escalader les marches de l’air, voler au-dessus des nuages, observer la terre en bas, aux pieds. Que l’on en juge, sinon, ces villes comme Quito, La Paz et Cusco, qui sont si hautes que, plus que des agglomérations humaines, elles ressemblent à des nids de ces grands oiseaux fiers et orgueilleux qui, depuis les sommets andins les plus élevés, observent le paysage à la recherche de proies sur lesquelles, une fois découvertes, ils se précipitent comme des bolides. Il n’est pas impossible qu’en ce moment même, dans ce crépuscule bleu qui se transforme en nuit, une rangée de condors se perchent sur l’une des crêtes qui entourent Quito, contemplant, entre furieux et effrayés, le spectacle grandiose. Qui a osé monter à de telles hauteurs ? Qui a construit leurs refuges dans ces glaciers et hauts plateaux où, pendant des siècles, seuls les condors osaient s’aventurer ?

Les villes andines témoignent, chacune d’elles, de l’aventure héroïque de nombreuses générations pour, en surmontant les énormes obstacles que leur opposait une géographie démoniaque, construire des habitations, cultiver la terre, acclimater les animaux et rendre la vie habitable pour les habitants. Ce voile de lucioles qui devient Quito chaque soir prouve que cette entreprise audacieuse, la conquête des Andes par la civilisation humaine, n’est pas encore terminée et ne le sera probablement jamais. Parce que la nature andine n’a jamais été entièrement dominée, humanisée par le commerce avec l’homme, comme c’est le cas avec d’autres géographies en Europe ou en Amérique du Nord. Ces montagnes cyclopéennes conservent encore quelque chose d’indomptable et d’incontrôlable, qui parfois déchaîne leur colère sous la forme de tremblements de terre ou d’avalanches, ces « huaycos » qui engloutissent des villages entiers et sèment la terreur et la mort sur leur passage.


C’est pourquoi il ne faut pas se fier à des paysages aussi idylliques et somptueux que celui-ci, celui des myriades de lumières de l’altière Quito, scintillant dans la nuit. Parce que là-bas, au fond, massive et intangible, la montagne de neiges éternelles reste toujours en embuscade, dans une attitude belliqueuse.