La vie privée est politique

Il y a un sujet sur lequel chacun de nous est expert, et qu’aucune autre personne dans le monde ne connaît mieux : notre propre vie.

Personne ne connaît mieux nos douleurs, nos angoisses, nos peurs. Personne n’a sondé aussi profondément nos insécurités, l’origine émotionnelle de nos maladies. Personne ne comprend le pourquoi de nos ressentiments et de nos désirs, personne ne connaît mieux le détail de nos amours et de nos désamours, ni ne peut voir la marque que les grandes et petites violences auxquelles nous sommes tous soumis ont laissée sur nous. Personne ne connaît la profondeur de la douleur que nos morts, nos absences et nos abandons provoquent en chacun de nous.

Lorsqu’un artiste part de sa propre expérience, il n’a pas la possibilité de se tromper. Les autres peuvent dire « je n’aime pas cette œuvre, je ne suis pas d’accord », voire se sentir offensés par elle ou ne pas vouloir la regarder. Mais nous ne pouvons pas dire à l’artiste « ce que tu as vécu n’est pas valable, cela n’a pas d’importance, tu ne devrais pas le communiquer ou l’interpréter de cette façon ». Lui ou elle sont experts de leur propre vie. Et leur message, lorsqu’il est authentique, est transformateur.

Il s’agit d’une exposition hautement personnelle qui communique des messages de douleur, de colère, de frustration, mais aussi d’espoir. Nous pouvons entendre des revendications qui ont été voilées pendant des générations. Et bien sûr, il y a des revendications qui vont blesser les susceptibilités, mais qui sont infiniment moins agressives que la violence à laquelle les femmes ont été et sont encore soumises.

Ici, nous pouvons voir une large gamme d’approches des problématiques de genre. Je dois dire que je ne suis pas d’accord avec les œuvres qui sont plus crues ou blasphématoires, pas parce que leur contenu me choque, mais parce que leur radicalité éloigne les personnes qui ont le plus besoin d’adopter un programme de lutte contre la violence de genre et l’inégalité. Je crois en la liberté qu’ont les artistes de s’exprimer, et je vais la défendre, mais l’utilisation de symboles offensants sur un mur patrimonial de la ville est un acte politique qui va blesser de nombreuses personnes qui professent la foi chrétienne, et je veux exprimer mon mécontentement et mon inconfort.

Lorsque nous parlons d’intimité, nous faisons référence à ce domaine précieux, personnel et intime que personne d’autre dans le monde ne connaît mieux que nous. C’est le territoire de la tendresse, du désir. Probablement le plus grand miracle de notre existence se produit lorsque nous abaissons les barrières et permettons à l’autre de s’approcher. Alors, l’intimité se transforme en une intimité partagée, en un dialogue humaniste.

Il y a de nombreuses formes de violence de genre, l’une des plus courantes étant l’abus sexuel et le viol. Si nous le réduisons à son aspect physique, génital, nous appauvrissons son sens. L’abus sexuel est avant tout une violation du consentement, une attaque brutale contre la possibilité de choisir, la destruction violente de la barrière délicate qui protège notre tendresse. Celui qui s’introduit sans être invité dans ce qu’il y a de plus précieux, dans l’intimité la plus profonde, nous laisse marqués. Celui qui entre avec mépris, les pieds boueux, la désinvolture dans le lieu le plus sacré que possède un être humain, le prive de sa dignité.

Le contraire de la violence sexuelle, c’est le consentement. Et dans cette merveilleuse gamme du consentement, entrent la joie, le plaisir, le jeu, la tendresse, la folie, l’abandon, la reconnaissance de l’autre, la célébration de l’autre, et aussi la célébration de notre propre complexité. Nous devrions être plus vocaux, défendre comme des panthères le droit de chacun à vivre son intimité avec joie et abandon, dans l’espace délicieux et humain du consentement. Le plaisir devrait être un droit humain. Il y a trop de femmes qui ne connaissent pas le plaisir, trop de personnes qui sont dépouillées de leur dignité en raison de leurs préférences sexuelles.

Lorsque nous permettons d’observer la dimension politique de l’intimité, nous sommes forcés de devenir des défenseurs acharnés de la tendresse, du consentement. Nous devenons des militants contre toute forme d’abus, de discrimination, de machisme. Choisissez le terme que vous préférez, nous devenons tous humanistes… ou féministes.

Je pense que le genre est l’un des sujets sociaux qui doivent être abordés de manière transversale, et qui doit être présent dans tout ce que nous faisons. La Secrétariat de la Culture a instruit tous les espaces culturels de la ville de la nécessité de réfléchir de manière profonde et systématique sur le sujet. Le Centre Culturel Métropolitain a fait un choix courageux, qui était sous la direction de Pilar Estrada, sa directrice, et de notre commissaire invitée Rosa Martínez. Comme je l’ai déjà dit, je ne suis pas d’accord avec toutes les décisions qui ont été prises. Mais je pense que c’est une exposition nécessaire qui va nous obliger à réfléchir sur ce que nous ne voulons pas voir.

Cette lutte en faveur de la diversité, du respect, est personnelle, elle doit être menée en première personne, depuis notre propre intimité la plus précieuse. Nous payons tous, absolument tous, le terrible crime de la discrimination, du machisme et de la violation du consentement.

Combien de personnes connaissons-nous qui ont subi des violences sexistes ? Combien d’amis et d’amies ? Il n’y en a pas un seul d’entre nous qui n’ait été victime directe ou indirecte.

Lorsque j’ai visité l’exposition il y a quelques jours, mes mentors féministes courageuses m’ont traversé l’esprit. Chacun de nous a des mentors féminins, des femmes puissantes. Comme une prière, comme un mantra, je tiens à remercier certaines d’entre elles, qui ne sont plus là, et je demande à chacun de saluer ses mentors féminins dans cette traversée risquée de l’intime au politique…

À ces femmes puissantes que chacun de nous a connues, merci. Car elles, comme ces artistes contemporaines, prennent le risque de dire la vérité, leur vérité, depuis la tendresse, l’indignation, l’espoir.

Discours de Pablo Corral Vega, Secrétaire de la Culture de Quito, à l’occasion de l’inauguration de l’exposition du même nom au Centre Culturel Métropolitain de Quito.