Monsieur Muscles
Obtenir ces biceps et pectoraux m’a coûté du sang, de la sueur et des larmes. C’est-à-dire, des heures et des heures dans la salle de sport à faire des exercices, des régimes stricts et arrêter de fumer et de boire. Pour avoir un corps comme celui-là, digne d’une compétition de bodybuilding, il faut avoir une volonté de fer et une grande discipline. Heureusement, j’ai les deux.
Je me suis fixé pour objectif de conserver ces muscles intacts et d’aller un jour aux États-Unis, où un homme avec un corps comme le mien peut faire carrière. Se produire dans les cabarets, jouer les figurants dans les films, participer à des championnats, ouvrir une salle de gym ou se faire engager pour des photos et des publicités. Je suis sûr qu’un mec avec des muscles comme les miens, là-bas aux États-Unis, peut se faire beaucoup d’argent.
Ici, en revanche, je suis sous-utilisé. Seuls les enfants du quartier savent apprécier l’effort et les sacrifices nécessaires pour avoir un corps comme le mien. Quand je retire ma chemise et que je leur fais une démonstration, ils ouvrent les yeux avec envie. « Puis-je toucher ? », me demandent-ils. Et s’ils me disent oui, ils s’émerveillent devant la dureté de mes muscles. « Comme des pierres », disent-ils.
Les travaux qui m’ont été offerts jusqu’à présent sont ridicules. Le premier a été dans un cirque de passage, qui est venu pour les Fêtes Nationales. Mon numéro s’appelait « Le défi du costaud » et consistait à défier n’importe quel spectateur à faire de la force avec moi, pour voir qui pliait le bras en premier. Je gagnais toujours, bien sûr. Ce numéro, ça passe. Mais en plus, il y avait un autre numéro dans lequel je sortais avec les clowns, qui faisaient rire les gens en me taquinant et en me faisant passer pour un imbécile. Quand le cirque est parti, ils m’ont proposé de partir avec eux, mais j’ai refusé
L’autre travail était encore plus déprimant. Gardien de l’ordre dans une boîte de prostitution. Cela consistait à séparer ceux qui se battaient, remettre à leur place les voyous, et expulser les clients trop ivres. Tout cela était très déprimant. La seule bonne chose dans ce travail-là étaient les filles. Celles qui dansent dans le spectacle et celles qui font boire les clients. Sympathiques et certaines affectueuses. Mais je n’ai pas aimé non plus passer ma vie entre des noctambules et respirer de l’alcool et de la fumée, deux poisons pour mes muscles.
C’est pourquoi je dois partir, en Californie ou à Miami. Je reviendrai quand je serai riche et célèbre et que j’aurai été photographié dans les journaux. Alors, ici, le maire me remettra une médaille et dira aux enfants en me désignant: « Esprit sain dans un corps sain. Apprenez de son exemple ».